Jay Launière-Mathias : Le temps d’un portage

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La première fois que j’ai vu Jay, c’était autour de l’automne dernier, dans l’une de ses chroniques Kapatakan, le temps d’un portage pour Espaces autochtones de Radio-Canada. J’ai trouvé ça très intéressant, oui, mais je trouvais que ça apportait aussi un vent de fraîcheur sur l’offre d’informations sur les enjeux autochtones. Comme c’est si facile d’entrer en contact aujourd’hui, j’ai commencé à le suivre sur son compte Instagram. On a commencé à jaser, pour finalement se voir plusieurs fois avec son copain et le mien pour des soupers et des activités diverses. C’est comme si on se connaissait déjà et je les considère comme de bons amis. En cette journée nationale des peuples autochtones, rencontrez Jay, un jeune homme inspirant dont vous n’avez pas fini d’entendre parler.

Jay Launière-Mathias
Jay Launière-Mathias
Photo : Alexandre Rochette

Parle-moi un peu de toi :

« On dirait que je ne sais jamais quoi répondre à cette question-là. J’y réfléchis de plus en plus et je me rends compte que souvent, on a le réflexe de dire ce que l’on fait dans la vie quand on se présente. On dirait que mon métier, ça fait partie de moi, mais ça ne me définit pas tant que ça. Mon travail, c’est une partie de ma vie, mais j’ai d’autres occupations. J’ai le réflexe de dire que je suis directeur général de Puamun Meshkenu, commissaire élu pour la commission Tipelimitishun et chroniqueur pour Espaces autochtones de Radio-Canada.

Je suis toujours en questionnement sur «C’est qui Jay?». Je pense qu’autochtone engagé me définit le mieux. Même par rapport à mes nations, j’ai l’automatisme de dire que je suis un Pekuakamiulnu, mais encore là je me rends compte que ce n’est pas tout à fait vrai, parce que mon côté Ilnu vient de ma mère, mais mon père est Anishinabeg. Parce que le «ministère des affaires indiennes» ne reconnaît pas la double nationalité de nations autochtones, ça t’oblige à faire un choix, malgré qu’à l’intérieur de moi, j’ai envie de cultiver les deux […] C’est ce qui fait ma particularité. »

Jay Launière-Mathias
Jay Launière-Mathias
Photo : Alexandre Rochette
Jay Launière-Mathias
Jay Launière-Mathias
Photo : Alexandre Rochette

Une cause qui te tient à cœur :

« Tout ce qui touche les autochtones, parce que ça fait partie de moi. Carrément. Aussi simple que ça. »

Ce qui te met hors de toi :

« Y’a beaucoup de choses, hahaha. Le trafic de Montréal ça me fait chier, mais surtout les gens ignorants. »

Est-ce que tu t’impliques dans ta communauté? :

« Oui, je m’implique de toutes les façons que je peux, parfois trop. Depuis 2019, je suis commissaire élu à la commission Tipelimitishun dont l’objectif est de travailler sur un projet de constitution sur la nation des Pekuakamiulnuatsh. À travers mon mandat, j’ai à consulter la population sur leurs priorités, mais aussi à rédiger le projet de constitution pour qu’éventuellement il soit soumis à un référendum.

On est dans le dernier blitz, on vient de finir la rédaction. Cet automne, on va être en présentation du projet, pour faire ensuite une dernière révision grâce aux commentaires, pour finalement être en référendum ce printemps. J’ai beaucoup d’espoir que la constitution devienne un levier pour l’autodétermination de notre communauté et que ça puisse même inspirer d’autres communautés et d’autres nations autochtones à se doter d’une constitution. Contrairement à d’autres projets de constitution au pays, la nôtre n’est pas restreinte, car elle n’est pas faite dans le cadre d’un traité négocié avec le gouvernement.

Sinon, je m’implique dans des conseils d’administration, comme celui du Musée amérindien de Mashteuiatsh où je suis président depuis 1 an. Jusqu’à tout récemment, j’étais administrateur du Réseau de la communauté autochtone à Montréal. Sinon, dans tout ce que je fais, je me questionne sur comment je peux m’impliquer davantage, mais ça n’a pas toujours été comme ça. Jusqu’à mes 18 ans, je n’avais pas un intérêt aussi marqué à m’impliquer et je ne me rendais pas vraiment compte de l’importance que ça pouvait avoir. Puis j’ai eu un déclic : en tant que jeune autochtone, j’aurais peut-être de belles choses à partager, mais aussi un devoir de changer les choses. »

Jay
Jay Launière-Mathias
Photo : Alexandre Rochette

« Je suis toujours en questionnement sur “C’est qui Jay?”. Je pense qu’autochtone engagé me définit le mieux. »

Jay Launière-Mathias
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Photo : Alexandre Rochette

Ton plus beau voyage au Québec :

« Ça va peut-être sonner un peu cliché, mais je dirais : chaque fois que je retourne dans le territoire familial sur le Nittassinan. C’est toujours un voyage. Dans le sens que, maintenant, je n’ai plus autant l’occasion d’y aller autant souvent que pendant mon enfance. Plusieurs fois dans l’été, on allait au camp à ma grand-mère. Aujourd’hui, quand j’ai l’opportunité d’y retourner, j’adore ça. C’est loin quand on habite à Montréal, considérant que c’est entre le nord du Lac Saint-Jean et Chibougamau. »

L’endroit que tu aimerais le plus visiter au Québec? :

« Je dirais visiter d’autres communautés autochtones. Dans un sens, je connais bien ma communauté, mais depuis que je suis sur le marché du travail, j’ai eu la chance d’en visiter d’autres que je ne connaissais que très peu. Je me rends compte qu’ailleurs c’est différent, mais que c’est beau aussi et que leur territoire est complètement différent du nôtre. Je n’ai jamais eu l’occasion d’aller chez les Atikamekw et je sais que c’est superbe là-bas, donc si j’avais à en choisir une, je dirais peut-être Manawan. J’ai des amis dans ce coin-là, sur le Nitaskinan. »

Jay
Jay Launière-Mathias
Photo : Alexandre Rochette

Plus jeune, aimais-tu l’école? :

« Oui. Je ne sais pas si j’étais bollé, mais j’avais de la facilité à l’école. Parfois, je devais sûrement m’arranger pour être le petit chouchou de la prof. J’ai fait mon primaire dans ma communauté à Mashteuiatsh, mais dans ce temps-là, il n’y avait pas les cours d’innu-aimun langue seconde et la transmission du bagage culturel complet. Je suis déçu de ne pas avoir eu accès à ça, mais je suis content d’avoir tout de même eu accès à des bribes de notre culture que je n’aurais certainement pas eues si j’avais été éduqué à l’extérieur de la communauté.

Je n’ai pas fait mon secondaire dans ma communauté, parce qu’il y a toujours le préjugé que les écoles dans les communautés sont moins bonnes, mais je pense que ce n’est pas vrai. Aujourd’hui, je vois ce que ces jeunes-là font et leurs opportunités d’aller sur le territoire, d’avoir des contacts avec les aînés et la culture en général. Je peux dire que je regrette un peu.

Même au niveau collégial, je suis resté au Lac-Saint-Jean pour le faire et aujourd’hui il y a le Collège Kiuna à Odanak, qui est le seul Cégep autochtone au Québec. Je me dis que j’ai peut-être manqué quelque chose, mon regard sur l’importance de m’impliquer aurait été décuplé. Je connais plusieurs jeunes qui sont allés là, et qui aujourd’hui sont extrêmement impliqués. À force de rencontrer des membres de toutes les nations, ils ont eu un éveil collectif. »

Jay Launière-Mathias
Jay Launière-Mathias
Photo : Alexandre Rochette

Ta relation avec le temps :

« Je trouve que le temps va vite. J’ai envie de faire plein d’affaires et j’ai peur de ne pas pouvoir tout réaliser. Même par rapport à ma culture, en tant que jeune autochtone, je sens qu’il y a un ultimatum. Les aînés, qui sont porteurs de savoir, s’éteignent et emportent avec eux des informations précieuses. Ça fait peur de ne pas pouvoir toutes les collecter. »

Parle-moi de tes projets à venir : 

« Après une pause de quelques mois de mes chroniques pour Espaces autochtones de Radio-Canada, j’ai décidé que j’allais m’y remettre. C’est une belle tribune et une belle opportunité de m’exprimer et de parler d’enjeux autochtones. »

Que représente la journée nationale des peuples autochtones pour toi :

« C’est une belle occasion pour faire rayonner notre culture et une invitation pour les allochtones de venir à notre rencontre. Afin de mieux nous connaître, parce que dans nos communautés, notre nation et notre culture, on les célèbre au quotidien. On a choisi la plus longue journée de l’année, comme ça on peut célébrer le plus longtemps possible! »

Qui est ta plus grande source d’inspiration, et pourquoi? :

« J’hésite un peu… D’un côté je pense à ma grand-mère, parce que je trouve tellement que c’est une femme forte. Elle a passé à travers tellement d’épreuves et même aujourd’hui, elle continue de s’impliquer. Et il y a une partie de moi qui est beaucoup inspirée par la jeunesse autochtone d’aujourd’hui. Je pense que l’on prend de plus en plus notre place et des jeunes allumés qui prennent action, il y en a de plus en plus. On sent qu’avec les jeunes de ma génération, il y a quelque chose qui s’en vient en termes de changement. C’est inspirant 🙂 »

Jay Launière-Mathias
Jay Launière-Mathias
Photo : Alexandre Rochette
Jay Launière-Mathias
Jay Launière-Mathias
Photo : Alexandre Rochette

Ton repas préféré : 

« Ma grand-mère Pauline, du côté de mon père, faisait un extraordinaire renversé aux bleuets. Elle le faisait avec ce fruit parce que je venais du Lac. Elle disait qu’elle le faisait pour son petit bleuet (moi). »

Le métier que tu voulais faire quand tu étais petit :

« Quand j’étais jeune, je voulais être médecin. »

Sucré ou salé :

« Honnêtement, les deux. Quand je mange du sucré, je veux rincer ma bouche avec du salé et vice versa. Pour balancer le tout. Je suis un homme d’équilibre, pas pour rien que je sors avec une balance haha! »

Ta saison préférée :

« L’automne. »

Ton objet préféré :

« La toile de l’artiste Frank Polson qui représente ma grand-mère et mon grand-père paternels. »

Ton odeur préférée :

« J’aime vraiment l’odeur du fleuve Saint-Laurent ou de la mer. Je trouve l’air salin enivrant. »

Ton artiste visuel préféré :

« Une fille de ma communauté, Sarah Cleary, est artiste et je trouve que ce qu’elle fait est vraiment beau. Dernièrement, je suis allé à l’exposition Faune Boréale au Musée amérindien de Mashteuiatsh et j’ai vu son œuvre Le dernier caribou où elle a peint un caribou sur un tambour. C’est vraiment une belle personne. »

La toune que tu as dans la tête présentement :

« La maudite toune que Stranger Things a remis sur la carte, Running Up That Hill de Kate Bush. »

Ne manquez pas les chroniques bimensuelles de Jay : Kapatakan, le temps d’un portage sur Espaces autochtones de Radio-Canada. Pour le suivre sur Instagram, c’est ici.

Révision linguistique : Gabrielle Bernier

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