Audrey Beaulé est une artiste queer et féministe qui porte les chapeaux d’autrice, d’artiste visuelle, de photographe (à ses heures) et de designer graphique, pour n’en nommer que quelques-uns. Elle est originaire de la capitale nationale, mais habite Montréal depuis plus d’une décennie. Audrey vient tout juste de sortir en librairies sa première bande dessinée nommée La Vingt. On y parcourt avec elle des moments heureux ou plus sombres de sa vie de jeune femme dans la vingtaine, et ce, au gré des paysages et des repères de ses allers-retours sur l’autoroute 20.
Parle-moi un peu de toi :
« Je me considère comme une femme lesbienne-queer, je suis une personne qui aime entretenir ses amitiés, j’aime beaucoup les arts visuels, le karaoké, le dessin, la photographie, dont j’ai fait un retour récemment. Sinon je suis une personne assez calme, douce et posée en surface, mais un peu anxieuse à l’intérieur. En gros, je suis une personne qui adore faire des livres de toutes les formes, ça peut être de la bande dessinée, comme le projet de La Vingt, récemment publié. Ça peut être photographique, comme un livre-photos que je fais en ce moment, mais ça peut être un livre de style fanzine avec des dessins. Dans le fond, la microédition m’intéresse autant que la publication d’un livre un peu plus commercialisé à grande échelle. Bref, je pense que comment je me décrirais, c’est que je fais des livres, parce que c’est un peu un entonnoir de tout ce que j’ai appris. »
Une cause qui te tient à cœur :
« Ouf, il y en a tellement! Ce n’est pas tellement une cause, mais plus une valeur, je crois : celle de respecter comment les personnes s’identifient être, que ce soit dans leur identité de genre, que ce soit comment elles veulent qu’on les appelle. C’est avant tout une question de respect qui est attribuable à plusieurs causes. […] Évidemment, le mouvement 2SLGBTQ+ aussi est une cause qui peut toujours être améliorée. […] Il y a l’aspect des petites victoires à comprendre dans notre réseau, mais dès que l’on en sort, on comprend à quel point il reste du travail à faire autour de nous, mais en même temps c’est à double tranchant car on a besoin d’avoir des communautés qui se donnent du care et qui se serrent les coudes, mais il ne faut pas s’aveugler et se dire que c’est juste comme ça et que les choses s’améliorent, c’est important de garder un dialogue at large pour rester à l’affût. Bien évidemment, le mouvement Black Lives Matter et la vague de dénonciation présentement, ça me bouleverse, je trouve ça vraiment important d’en parler davantage. »
Ce qui te met hors de toi :
« J’ai des épisodes dans ma vie où je deviens vraiment en colère à cause de commentaires ou dans des séminaires à l’université, avant je n’étais pas capable de parler, parce que j’étais trop prise à l’intérieur de moi par l’émotion, mais on dirait que, dernièrement, je suis capable de mettre des mots sur mes colères. La masculinité toxique, la méchanceté et l’idée de toujours vouloir catégoriser les choses et les gens font définitivement partie de ces colères. Je crois tellement en l’interdisciplinarité autant dans le milieu académique que dans la société. »
Est-ce que tu t’impliques dans ta communauté? :
« Pas autant que je voudrais. J’ai déjà fait un peu de bénévolat surtout dans le milieu culturel, mais je pense que mon implication dans ma communauté consiste surtout en des micro-actions à travers mes amitiés et mes proches. J’ai un emploi du temps assez chargé et je priorise ma communauté directe, proche, pour l’instant afin d’agir le mieux possible comme alliée et être quelqu’un sur qui compter réellement. »
Ton plus beau voyage au Québec :
« C’est drôle parce que récemment on s’est parlé de voyages au Québec et je t’avais dit que tant que j’étais bien entourée, je serais bien partout. Cependant, pour bien répondre à la question, je pense que c’était une destination qui revenait souvent dans ma vie quand j’étais plus jeune : le chalet du grand-père à mes cousins situé dans la région de Charlevoix à un lac près du village Le Pied-des-Monts. C’était pour moi un grand moment d’évasion où l’on avait un rapport avec la nature qui nous faisait vraiment du bien. On faisait de la randonnée, on observait une chute et on a même, durant un hiver, construit une cabane où l’on a tous passé la nuit après avoir écouté un film d’horreur et s’être rendus à notre cabane en skidoo sur le lac gelé en pleine noirceur avec nos chocolats chauds aux guimauves. »
Plus jeune, aimais-tu l’école? :
« Oui, mais je détestais me lever le matin pour m’y rendre, mais une fois rendue, c’était correct. Surtout l’hiver, c’était difficile à cause de la noirceur. Plus jeune, je pensais même que la définition de la paresse, c’était ça. J’adorais l’école, c’était un lieu qui me valorisait et m’en faisait apprendre beaucoup sur le monde et, en plus, j’étais avec mes amis. »
Ta relation avec le temps :
« Heinnn, c’est tellement une belle question! Je pense que j’aurais une réponse ressentie et une réponse théorique à la question. Dans mon quotidien, je pense que le temps m’oppresse, j’ai une anxiété de performance à toujours vouloir rentabiliser mon temps. Même si je le gère de mieux en mieux, c’est encore présent en moi. Si jamais j’ai une journée où je ne fais rien, du genre pas de création ou d’activités avec des amis, je me sens coupable d’être dans l’inaction. On s’entend que c’est une donnée très capitaliste de devoir être dans la production ou de toujours vouloir faire quelque chose de son temps, donc j’essaie de détruire cette idée internalisée de plus en plus.
D’un autre côté ma réponse théorique à ça, c’est que j’ai commencé la lecture d’un texte de François Hartog qui parle des temps multiples, qui exprime que le temps serait fait d’échos à travers les époques et que ce ne serait pas autant linéaire qu’on le dit. On se fait toujours enseigner la ligne du temps et on est toujours dans l’idée du progrès, mais pourtant on peut voir dans l’histoire que l’Égypte antique était plus avancée sur certains points que le Moyen Âge. »
« Si jamais j’ai une journée où je ne fais rien, du genre pas de création ou d’activités avec des amis, je me sens coupable d’être dans l’inaction. »
Ta plus grande réussite personnelle :
« C’est de construire une relation solide avec ma copine. On prend soin l’une de l’autre, on est dans le care, on se challenge et on s’aide à plusieurs niveaux. Puis je trouve que c’est personnel au sens qu’il y a une part de moi, mais en même temps c’est collectif parce que ça se construit à deux. Un mélange de cette relation que l’on entretient qui est vraiment précieuse. »
Ta plus grande réussite professionnelle :
« Je pense que c’est d’avoir été acceptée à la maîtrise, parce que j’avais longtemps repoussé ce désir-là d’être en arts visuels. J’avais fait des études en animation qui étaient quand même dans le domaine créatif, mais c’était pas la même chose. Après je suis allée à l’école de design en design graphique, c’était très axé à faire quelque chose pour un client. Professionnellement, je ne me suis jamais retrouvée 100% là-dedans. Je pense que le fait d’avoir été admise à la maîtrise m’a fait réaliser que je pouvais avoir ma place dans le milieu des arts visuels, puis au fond je pense que c’est toujours ça que j’ai voulu, mais je n’ai jamais osé. C’est pas une victoire concrète, mais pour moi c’est un premier pas dans quelque chose où j’ai le goût de m’investir. »
Qui est ta plus grande source d’inspiration, et pourquoi? :
« Je pense que c’est ma mère, c’est quétaine, je sais. Mais en fait, au secondaire, on nous avait déjà dit, pour nous aider à écrire des textes, de nous adresser à notre mère, comme ça on n’utiliserait pas des concepts que l’on apprend seulement en classe. Ça va permettre de s’adresser à quelqu’un de confiance, d’ouvrir le texte et de faciliter le processus d’écriture. J’ai continué à faire ça, donc quand j’écris quelque chose, je l’imagine dans l’esprit que ma mère comprend toujours ce que j’écris, comme si je m’adressais à elle. C’est vraiment une personne hop la vie! et qui, à travers les épreuves, reste positive et s’il y a quelque chose qui la dérange, elle ne va pas se plaindre ou être en arrière-scène, elle va prendre les devants et être dans l’action. C’est surtout ça, l’idée d’être dans l’action et de mettre la main à la pâte dans quelque chose qui nous dérange, je trouve ça vraiment important, car c’est elle qui m’a fait réaliser ça. »
Ton repas préféré :
« La pizza »
Le métier que tu voulais faire quand tu étais petite :
« Je voulais être photographe. J’étais tellement bornée, j’avais pris ma première photo avec l’appareil photo argentique de mon père. J’aimais tellement ça regarder le paysage par la lentille, capturer l’idée de cadrage et archiver ça en mémoire. C’est à ce moment-là que j’ai trouvé ça magnifique comme invention. »
Sucré ou salé :
« Salé »
Ta saison préférée :
« Le printemps »
Ton objet préféré :
« Mon carnet »
Ton odeur préférée :
« Le chèvrefeuille »
Ton peintre/artiste visuel préféré :
« J’ai été vraiment marquée par Jean-Michel Basquiat, je ne sais pas si c’est mon préféré, mais j’ai vu un film sur lui fait par Julian Schnabel qui m’a marquée, et j’ai vu une de ses expositions à Toronto et j’ai tellement pleuré. Il a comme une espèce de bad painting, mais en même temps c’est full politique et intègre, et il y a la question du geste, en tout cas… (admirative) »*
*Quelques jours plus tard, Audrey m’a réécrit pour me dire qu’elle avait changé d’idée pour Agnès Martin, j’ai trouvé ça mignon!
Ton film préféré :
« Frances Ha, que j’écoute quand même souvent. »
Ta marque québécoise de vêtements préférée :
« Betina Lou »
Ta fête préférée :
« C’est pas la mienne, parce que je suis tout le temps malade parce que ça me stresse trop, parce que j’ai trop d’attention et ça me stresse là. C’EST LA FÊTE DES ROIS, À CAUSE DE LA GALETTE!!! (fou rire) J’aime trop ça, manger de la galette. C’est à cause de la galette mais c’est aussi que les fêtes sont finies et tu peux vraiment te reposer. C’était a thing dans notre famille, il y avait des cadeaux à gagner et je voulais tout le temps être la reine. »
La toune que tu as dans la tête présentement :
« Ah oui, je sais! Je me lève avec ça, je me couche avec ça, c’est You’re the One de Elaine. »
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Révision linguistique : Gabrielle Bernier